Aymeric Caron ce penseur éclairé à l’écoute du monde et de ses habitants humains et non-humains nous livre dans cet interview une discussion à bâtons rompus sur la politique, les choix de vie et l’utopie, thème de son nouvel opus. Aymeric Caron, un homme solaire résolument optimiste, à l’esprit yoga !
Propos recueillis par Virginie Monluc
Esprit Veggie : Citez-moi une personne dont le combat, proche du vôtre, vous inspire ?
Aymeric Caron : Beaucoup de gens mènent des combats très inspirants comme le militant écologiste antispéciste P. Watson ou la primatologue J. Goodall. Je suis aussi très impressionné par tous les anonymes qui au quotidien font des choses pour la cause animale. Recueillir des animaux, les soigner, les placer. J’ai une sincère admiration pour ces gens, souvent modestes.
EV : Pour défendre la cause animale êtes-vous prêt à devenir un homme politique ?
AC : J’ai décidé depuis quelques années de parler de sujets qui me sont chers, l’engagement politique réside là. M’engager dans des projets électoraux, pourquoi pas ? La manière dont je vois la politique est très différente de la réalité. Je milite pour la non-professionnalisation de la politique. Défendre des idées oui. Glaner un poste de député, non. Ce sont deux choses distinctes. A ce jour celui que l’on voit à la télé donner ses idées convoite une place de député. Il faudrait des porte-paroles d’idées qui ne défendent pas leur destin.
EV : Si vous étiez ministre de l’Écologie quelles seraient vos premières mesures réalistes ?
AC : La planification de l’arrêt total du nucléaire en France. Sur beaucoup de décisions d’importance – chasse, corrida, nucléaire – la population n’est pas associée. J’organiserais un grand débat national public en proposant la sortie du nucléaire et en permettant aux acteurs concernés de s’exprimer avant un référendum national. On exposerait les risques réels. Les citoyens sont-ils prêts à accepter un Fukushima bis en France ? Les gens ne sont pas informés. Je lancerais aussi un chantier sur la transition agricole vers un modèle 100% végétal. Le système actuel marche sur la tête. Les paysans sont devenus les ouvriers voire les esclaves de l’industrie agroalimentaire et survivent grâce à des subventions. Il y a aussi une dimension éthique, morale : l’exploitation animale est inacceptable au XXIe siècle.
EV : Quelles sont vos propres contradictions par rapport aux thèses que vous défendez ?
AC : J’essaie d’être au maximum en cohérence sur tous les plans. On n’en fait sans doute jamais assez. On va toujours trouver une faiblesse, le simple fait d’accepter de vivre dans cette société. J’ai une voiture, j’ai eu un scooter, cela m’a été reproché. Ce ne sont pas des contradictions, il est difficile d’être jusqu’au-boutiste. Un végan ne l’est jamais à 100 %. Nous allons à un moment acheter un objet qui a causé la destruction d’arbres, de petits mammifères. Il y a toujours une incohérence. Quand on a des convictions, il faut tenter de les pousser le plus loin possible dans une sphère du tolérable par rapport à une vie quotidienne. Je ne suis pas anti-progrès, mais pour un progrès qui respecte des règles morales, éthiques.
EV : Dans les milieux que vous côtoyez, sentez-vous une évolution tangible des pratiques par rapport à la souffrance animale ?
AC : Aujourd’hui le véganisme fait débat, il y a peu il fallait expliquer la différence entre végétarien et végétalien. Désormais c’est le véganisme qui est traité d’extrémisme, mais plus personne ne remet en cause le bienfondé du végétarisme. On ne se moque plus des végétariens. Autour de moi, c’est incroyable le nombre de personnes qui ont arrêté de manger de la viande. Je pense qu’un jour l’humanité sera végétarienne et peut-être végétalienne. Je suis résolument optimiste.
EV : « Utopia XXI », votre dernier ouvrage est un clin d’œil à Thomas More le fondateur de la pensée utopiste ?
AC : C’est plus qu’un clin d’œil. T. More a inventé le mot « utopie » au XVIe siècle avec des propositions d’un modernisme étonnant. Il y a aujourd’hui un vide idéologique. Les deux idées fortes ou utopies, qui ont dominé la vie politique depuis 300 ans, le socialisme-communisme, et le libéralisme ont échoué. Le désespoir des gens est lié au manque d’espérance et de projets crédibles auxquels s’accrocher. Quelle nouvelle utopie inventer ? Mon livre est une mise à jour de l’utopie de T. More. Je me demande ce qu’est devenue son île, 5 siècles après, comment l’adapter aux priorités actuelles ? Quels idéaux politiques réalistes imaginer ? Ce que l’on nous présente comme des utopies sont des constats très réalistes, et ce que l’on nous présente comme des réalités indépassables sont des mensonges.
EV : Théodore Monod a dit « L’utopie n’est pas l’irréalisable, mais l’irréalisé ».
AC : C’est une jolie formule critiquable, il y a des utopies qui sont irréalistes. L’utopie c’est un projet avant-gardiste souvent incompris par les contemporains, qui met du temps à être accepté, mais qui est porteur d’un mieux.
Retrouvez l’interview dans son intégralité dans Esprit Veggie n°3.