Quelle est l’évolution du yoga dans le monde ? Grâce aux ressources des technologies, la pratique devient accessible à des personnes vivant dans des lieux isolés ou sans infrastructure.
Par Céline Chadelat
Une amie russe résidant depuis des années en France me racontait, surprise, qu’un de ses contacts d’une ville reculée de Sibérie était parti du jour au lendemain en Inde rencontrer un sage après l’avoir simplement vu en photo sur … Internet ! Cette anecdote révèle les rouages de notre époque mondialisée, parfois décriée où tout semble se jouer en accéléré et de manière virtuelle ! Applications, plateformes, formations en ligne, cours par skype … Avec Internet, l’offre de yoga en ligne est pléthorique. L’un des effets de la technologie et de la mondialisation est que la pratique du yoga s’immisce ainsi dans les us et coutumes des habitants du monde entier. Au delà des appartenances religieuses et culturelles, hommes et femmes du Moyen-Orient, d’Afrique, de l’Extrême Orient Russe, choisissent de pratiquer le Yoga avec pour seul guide leur mobile, défiant parfois les normes et les préjugés de leur société.
Egypte : des postures sans tabou
Pétillante, vive et geek, Rehab Ossama, avait 22 ans en 2017 quand elle se prête à une séance photo en posture de yoga dans sa ville natale, Qena, dans le nord de l’Egypte. D’abord intéressée par la pratique du fitness, elle a découvert le yoga par le biais d’une application sur son téléphone portable. Elle pratiquait alors chez elle jusqu’au jour où elle a décidé d’assumer pleinement en dévoilant au grand jour ses postures de yoga dans les rues de sa ville natale.
En toute connaissance de cause, cette étudiante en anglais a voulu surmonter le regard et les paroles désobligeantes des passants. Son but ? Démontrer les vertus pacifiques du yoga à tous et permettre aux jeunes filles égyptiennes de pratiquer des exercices physiques sans tabou. « Le yoga est utile pour tous, les petits comme les grands, pour contrôler ses nerfs, pour amener à la concentration, faire naître la sérénité et créer de nouvelles connexions neuronales » explique t-elle dans un post Facebook. Pour ces quelques postures de yoga devant l’objectif, la jeune femme a subi le harcèlement d’une partie de la population. Pourtant, ni les mots, ni les insultes n’ont su la perturber : elle a conservé son alignement et la paix de l’esprit, en pleine maîtrise du demi-lotus. Si elle souhaite fonder un centre dédié à la pratique, elle attend encore que les conditions soient favorables : « Je suis musulmane, je ne considère pas le yoga comme un acte religieux, il s’agit au contraire pour moi d’une pratique utile pour l’âme et corps et dans le partage de la paix et de la spiritualité. On peut trouver des liens entre le yoga et l’Islam à travers certaines postures et dans le but de répandre la paix, ce qui est similaire à toutes les religions. »
Russie : Instagram, plateforme éducative ?
Khabarovsk, ville de l’Extrême Orient Russe, aux confins du continent Eurasien. C’est dans cette ville de 600 000 habitants située à seulement quelques kilomètres du Nord de la Chine et à 760 km de Vladivostok que vit Anastasia Rashevskaya. La jeune femme est âgée de 25 ans et maman d’un petit garçon de quelques mois. A 18 ans, elle découvre le yoga en groupe puis commence rapidement à pratiquer chez elle pour « plonger plus consciemment dans le processus » confie la jeune femme. Elle étudie seule, s’informe sur Internet en prenant soin de filtrer les informations et suit une formation d’enseignante d’un an. Devenue professeure, elle utilise le réseau social Instagram à la fois pour progresser et pour enseigner. Elle considère le réseau comme « une plateforme éducative, qui me permet de communiquer régulièrement avec des praticiens et des enseignants expérimentés ainsi que ses élèves ». Et de poursuivre : « J’ai réalisé que je souhaitais partager mes connaissances. Je ne suis pas gourou et ne discute pas de sujets philosophiques avec mes étudiants. Je les aide en revanche à développer le degré de conscience de leur corps et de leur esprit par le biais des asanas ». Si la ville de Khabarovsk compte des yogis, lorsqu’on observe le dynamisme du compte Instagram d’Anastasia, il est clair que c’est sur ce carré d’écran que se trouvent les échanges, les stimulations et encouragements. Quand on s’enquiert de savoir si le yoga a changé sa vie, elle affirme : « Je suis devenue plus sensible à moi-même, il est plus facile de me comprendre et de comprendre les autres. Je me suis liée d’amitié avec mon corps, j’ai cessé de manger certains aliments. Si une personne aspire à la connaissance de soi, elle doit absolument pratiquer le yoga ».
Ouganda : le yoga pour améliorer le quotidien
En Afrique de l’Est, Lawrence Mupere vit dans la capitale de l’Ouganda à Kampala. Il est un des pionniers du yoga dans son pays. Il pratique depuis cinq ans. De religion anglicane, le jeune homme découvre la pratique par l’intermédiaire d’un ami qui l’invite à un cours. Il perçoit les bénéfices sur le tapis et « au-delà » précise t-il. Coach, il donne à la fois des cours privés et des cours bénévoles à des communautés qui n’ont pas les moyens d’en bénéficier. S’il a suivi un cursus de formation classique de 200 heures au Kenya voisin, il s’inspire volontiers des ressources du Web, simples d’accès et moins coûteuses, pour améliorer sa pratique. Il enseigne maintenant le Power Yoga et étudie l’Ashtanga grâce à Internet où il se met en réseau, crée des liens, apprend, enseigne, diffuse sa pratique avec « sa communauté et à travers le monde ». Ses médias favoris ? Les applis Instagram, What’s App où les photos sont facilement téléchargeables via une connexion mobile. « Le yoga a amélioré ma vie sociale. Je donne des cours à ma communauté en Ouganda, ce qui produit des changements positifs dans le quotidien des gens. A travers le yoga, il est possible de créer et de transformer » prêche le jeune homme, convaincu.
Le yoga et internet seraient-ils disruptifs ?
Le yoga est un vecteur de transformation de soi et Internet en décuple les possibilités. Sur le Web, quel que soit le sujet, il devient possible de trouver des avis différents puis de réfléchir et d’expérimenter par soi-même. Sur le plan de la pratique du yoga, il s’agit de trouver de multiples inspirations tout en se reliant horizontalement à un réseau d’affinités. Toutefois la relation humaine n’est-elle pas essentielle dans le processus de transmission du yoga ?
La question de la pédagogie est aussi passionnante que polémique. Le yoga, dans le mouvement de retour à soi et au corps qu’il propose, se combine prodigieusement à des médias dont le terrain d’utilisation repose sur un fort degré d’individualité et d’autonomie. Le yoga sous cette forme fait « disruption », puisqu’il change et modifie les comportements, jusqu’au sein du milieu du yoga et du mode d’enseignement classique. Au point que Anne-Cécile Hoyez, docteur en géographie, en ait fait son sujet de thèse : L’espace-monde du yoga, de la santé aux paysages thérapeutiques mondialisés. Le corps est un objet d’étude géographique au même titre qu’une ville. « Le corps est donc un objet géographique en soi : il s’agit d’un espace de sociabilité, un espace de négociation » explique t-elle. Le corps est un espace de mise en valeur de ses savoirs, savoir-faire, de ses valeurs intimes et collectives, comme l’illustrent le succès des photos de postures de yoga sur Instagram. « Pour les géographes, il est important de concevoir le corps comme un objet spatial, porteur et producteur de pratiques qui sont situées, qui circulent, qui font circuler des personnes et des objets, qui répondent à des idéaux, voire à des idéologies[1] » dit-elle encore. Plus que jamais, le corps est un espace de puissance. A mesure que la toile se déploie, les connaissances se divulguent à travers les pays et les cultures.
Et si nous nous autorisions à ébaucher l’avenir ? Le scientifique, paléontologue, théologien français Pierre Teilhard de Chardin mort en 1955, s’inscrivait dans une vision évolutive du monde. Il avançait ainsi le concept de noosphère et de planétarisation : une vision d’une humanité dont l’imaginaire, les pensées, les idées, les découvertes, c’est-à-dire le psychisme ou la conscience, tissent progressivement une « noosphère » de plus en plus serrée et dense, génératrice de toujours plus de conscience, et de plus en plus solidaire, de plus en plus planétaire. Dans ce scénario du monde à venir où Internet tisse la toile, le yoga esquisserait-il de nouvelles couleurs ?
Cet article est extrait du numéro 47 d’Esprit Yoga accessible ici.
[1] Hoyez Anne-Cécile, « Le corps comme espace en soi et espace à soi ? Regards géographiques sur la complexité d’une pratique corporelle mondialisée : le yoga », L’Information géographique, 2014/1 (Vol. 78), p. 57-72. DOI : 10.3917/lig.781.0057. URL : https://www.cairn.info/revue-l-information-geographique-2014-1-page-57.htm