Dans les postures de yoga, le corps devient la scène d’une présence à soi tendre et douce, claire, aiguisée et surtout ouverte.
Par Ananda Ceballos
Ramana Maharshi, homme plein de simplicité et de lumière qui vivait dans le Sud de l’Inde, à côté de la montagne sainte d’Arunachala, est probablement l’un des sages du xxe siècle qui a le mieux parlé de la présence à l’état pur. Un jour, adolescent, il eut une expérience spontanée étonnante. Seul à la maison, il sentit soudain que la mort s’emparait de lui. Plus curieux qu’effrayé, il resta présent et observa. Au lieu d’avoir peur, de se battre, il décida d’écouter et fit l’expérience de l’Absolu (brahman), c’est-à-dire, de l’éveil.
Les Upanishads parlent de cet Absolu comme d’une « présence-conscience-félicité pure » (sat-cit-ânanda). Sat, l’existence pure, serait le fondement de toute présence particulière. Cit serait la conscience infinie, bien distincte de la connaissance humaine. Enfin, Ananda, la félicité suprême, serait une conséquence logique de Sat et Cit, car la félicité implique d’être pleinement présent à soi-même. Cet Absolu (brahman) serait même la seule vérité dans la création et constituerait notre nature profonde. Mais si cela est notre véritable nature, pourquoi n’y a-t-on pas accès en permanence ?
Nombreuses sont les théories et les techniques déployées en Inde pour expliquer la « puissance de voilement » (maya) de cette présence et l’« ignorance » (avidya) de son existence. La conscience embrumée, ternie par une couche de pensées qui obscurcissent notre regard et de projections qui cachent le réel, notre vie se déroulerait dans un oubli de l’être. Alors comment capter l’Être, s’il ne peut pas être saisi par la pensée et encore moins exprimé par la parole ?
La réponse apportée par le yoga passe par le corps et montre toute l’originalité et la modernité de cette discipline millénaire. C’est seulement par son corps que l’être humain s’insère dans la vie, avec tous ses rythmes et ses pulsations. C’est dans le corps que la présence pulse au cœur de la création. La présence implique de vivre un instant qui dure et grâce au corps nous pouvons le cueillir, comme la rosée du matin. Dans les postures de yoga, le corps devient la scène d’une présence à soi tendre et douce, claire et aiguisée et surtout ouverte. Présence énigmatique à elle- même, cette ouverture est un geste de fraîcheur indispensable qui, pointant vers la « présence pure » (Sat), capte sa résonance, vibre d’un silence intérieur apaisé, et se met à son diapason. Le yoga nous apprend à être pleinement présents au monde, aux autres, à la nature, au rayonnement de l’existence, à pendre conscience de notre appartenance à l’univers et à assumer la responsabilité de notre présence, dans toute son épaisseur et sa dignité.
Article à retrouver dans le numéro 46 d’Esprit Yoga
Docteure en Études indiennes, Ananda Ceballos est aussi formatrice à l’École Française de Yoga et psychologue spécialisée en troubles du comportement alimentaire (www.yoome.fr).