Née dans une famille d’illustres yogis, la jeune femme aurait pu choisir de poursuivre ses études en bioinformatique. Elle a préféré marcher sur les pas de son grand-père. Esprit Yoga l’a rencontrée lors de sa venue en France, dans le cadre des célébrations du centenaire de la naissance de B.K.S Iyengar.
ESPRIT YOGA : Perpétuer l’enseignement de B.K.S. Iyengar est une grande responsabilité. Comment vivez-vous cela ?
ABHIJATA IYENGAR : La première fois que j’ai enseigné à l’étranger, j’étais inquiète car je savais que j’allais me retrouver face à des pratiquants qui avaient commencé le yoga avant même que je sois née. Mais je sentais aussi que j’avais la responsabilité de partager avec ces élèves tout le temps passé auprès de mon grand-père, tout ce que j’ai appris grâce à lui. Du coup, avec ce genre de priorité, le trac disparaît. Car ce que j’enseigne ne m’appartient pas. Tout ce que je dis vient de lui. Je ne fais que transmettre ce que j’ai compris, assimilé, digéré.
E.Y. : Iyengar était votre grand-père, mais aussi votre ourou. Comment continue-t-il à vous inspirer ?
A. I. : Chaque fois que je pratique ou que j’enseigne, il y a toujours un moment où je me souviens d’une chose qu’il m’a dite. Mais il m’a aussi mise en garde contre la mémoire. D’après lui, nous ne devrions pas toujours dépendre d’elle. Nous devrions plutôt rester attentifs et sensibles, afin d’observer ce que nous faisons. Oui, il continue à m’inspirer parce qu’il m’a enseigné un yoga si authentique, si extraordinaire et à la fois si sensé que j’en reste imprégnée.
E.Y. : Que pensez-vous du fort développement du Yoga Iyengar ?
A. I. : Le fait que des pratiquants de plus de soixante-dix pays puissent goûter aux bienfaits et à la joie qu’apporte l’enseignement de Guruji est fabuleux. Mais mon grand-père disait aussi qu’un sadhaka, un chercheur de vérité, doit toujours évoluer comme sur le fil d’une épée, en équilibre, et qu’il faut être extrêmement prudent lorsqu’on emprunte cette voie. Les enseignants expérimentés, qui transmettent son enseignement aux générations suivantes, ont une grande responsabilité : ils doivent veiller à le transmettre comme ils l’ont reçu. Car, oui, nous avons reçu les asanas, pas seulement sur le plan physique mais aussi sur le plan mental, émotionnel, intellectuel, physiologique et psychologique. Lorsqu’il enseignait, Guruji cherchait à insuffler cette étincelle de sensibilité chez ses élèves. Si ses enseignants peuvent à leur tour l’insuffler à leurs élèves, alors le yoga Iyengar continuera à vivre encore longtemps.
E.Y. : Avec le succès du yoga, on assiste à l’apparition de yoga farfelus. Qu’en pensez-vous ?
A. I. : Oui, parfois je trouve ça un peu bête. Si vous cherchez juste à vous faire plaisir, pourquoi appeler ça du yoga ? C’est là que les enseignements de Patanjali sont d’une importance capitale. Patanjali définit le yoga comme le moyen d’empêcher les fluctuations du mental et dit que l’on peut y parvenir en pratiquant abhyasa (pratique régulière) et vairagya (détachement). Quelle que soit la forme de yoga que vous choisissez, demandez-vous si ces deux notions y sont bien présentes. Est-ce qu’elle permet d’empêcher les fluctuations du mental ? Y a-t-il une part d’effort et de renonciation ? A partir de cela, vous devez avoir l’intelligence de décider. Guruji disait souvent qu’il est très facile de duper les gens (rires).
E.Y. : Quel message aimeriez-vous transmettre aux pratiquants de yoga ?
A. I. : À nouveau, je citerai mon grand-père, lorsqu’il disait que la vie est comme l’Amazone. Tout comme le fleuve, elle s’écoule avec force et dynamisme. Pour moi, cela résume parfaitement le yoga : il vous donne la santé physique et mentale, il fait naître en vous la spiritualité et les principes philosophiques, mais il doit aussi faire de vous un être joyeux. Car le yoga ne signifie pas l’isolement et le renoncement. C’est ce que mon grand-père a montré. Bien qu’il ait reçu le titre de sannyasin (renonçant) et qu’on lui ait conseillé de se retirer dans l’Himalaya, il a refusé car pour lui, la vie, ça voulait dire vivre. On doit aussi voir cet aspect dans le yoga Iyengar. Oui, il y a beaucoup de discipline, d’acuité et d’introspection, mais il y a aussi la joie. Si tous ces aspects sont réunis, alors l’apprentissage est équilibré…
Retrouvez la suite de l’article dans le numéro 45 d’Esprit Yoga.
Avec la précieuse contribution de Régine Cavallaro