Professeur populaire avec son yoga très “rock”, les cours de Mika qui conjuguent musique et humour décapant se distinguent dans l’écosystème du yoga en France. Rencontre sur la Promenade des Anglais à l’hôtel Negresco à Nice pour un petit-déjeuner.
Quel est ton rituel du matin ?
Mon rituel ? (étonnement) Un bon café ! Un café aux noisettes grillées, le café sidamo.
Oui c’est vrai, tu en parlais dans un de tes derniers papiers. Donc pas de jus citron dépuratif ?
Dépuratif ? Non mais c’est comme tout le monde se considérait comme malade. Je cultive la sobriété, je n’ai pas d’excès donc je n’ai pas besoin de vidange ! Cela dit, la nourriture industrielle induit des inconforts. La société de consommation nous pousse à consommer en masse de la nourriture qui ne nous convient pas. Je crois plutôt à l’éducation, à l’apprentissage.
Comment fait-on pour apprendre à se nourrir ?
En apprenant à connaître sa propre nature. C’est ce que propose l’Ayurveda. Tu traînes avec des éléphants alors que tu es un écureuil. Un jour tu te réveilles, tu comprends que tu es un écureuil et tu leur demande « pourquoi personne ne m’a rien dit ?! » et les éléphants répondent « Tu avais l’air tellement convaincu ». (Rires)
Tu te sens écureuil ?
J’aime beaucoup l’écureuil. Tu sais qu’au Moyen-âge, il était considéré comme l’animal du diable parce qu’il était plus malin que les autres ? J’adore aussi la bande d’écureuils dans “L’Age de Glace”.
Si on devait retenir une chose du yoga, que serait-ce ?
Et si on remplaçait le mot yoga par « musique » ? Si on devait retenir une chose de la musique, que serait-ce ? Yoga et musique procurent le même bonheur. C’est la même harmonie qui se joue. Pour bien parler du yoga, il ne faudrait plus employer le mot « yoga » qui est galvaudé. Ceux qui parlent du yoga aujourd’hui le consomme depuis un an, tout au plus trois ans. Les médias ont aussi séparé les termes « yoga » et « méditation » alors qu’il s’agit de la même chose. On me demande souvent si je pratique la méditation. Je fais du solfège, est-ce que d’après toi je ne joue pas de la musique ? Aujourd’hui, le yoga prend tous les noms et toutes les formes.
La force du yoga, n’est-elle pas d’unir ?
Justement le yoga unit, relie. On accède à un état de grâce. Pourtant la grâce, est-ce que cela s’apprend ? Est-ce qu’ont peut donner des « cours » de grâce ? La grâce descend parce qu’on tend le bras dans un sens et la jambe dans l’autre ? C’est comme l’Eglise, est-ce qu’une institution peut promettre la grâce ? Les institutions, les cours proposent du prêt-à-penser et du prêt-à-porter. En fait il n’y a pas de cours de yoga.
A ton niveau, tu as contribué à une certaine vulgarisation du yoga ?
Je suis dans le yoga depuis vingt ans, j’ai commencé à l’âge de dix-neuf ans. J’ai toujours cru à la valeur du yoga. Pendant les dix premières années, on se foutait de moi. Et puis tout à coup, cela arrive. Et le star-system doit vendre. Il a alors besoin d’égérie et de marketing pour attirer. Les marques sont venues vers moi. Mais je suis comme le lapin blanc dans « Alice aux Pays des Merveilles » : je passe.
Dernièrement, tu disais dans un magazine que tu pensais naïvement que le yoga pouvait changer le monde. Qu’est-ce qui a changé pour toi en vingt ans ?
Oui, cela a changé. D’une part, je réalise que notre territoire n’a pas connu de guerre depuis soixante-dix ans et que nous vivons dans un confort exceptionnel. Prendre conscience de cette chance est ce qui manque à beaucoup. D’autre part, il y a eu un phénomène de récupération. Les hippies sont arrivés avec des idéaux pour changer le monde, en gardant un air illuminé plaqué sur le visage. Tout compte fait, la société de consommation a ingurgité ce phénomène et ses idées. Avec le rock, c’est pareil : des punks sortaient de la rue et criaient « F***** The Queen ! ». Là encore, la Reine ne s’est pas démontée : elle a pris son épée, leur a posée sur l’épaule pour les adouber, et de fait, les a anoblis. Ces mêmes punks se retrouvent Chevalier de l’Ordre de l’Empire Britannique avec des villas sur l’Ile Moustique. Bref, le capitalisme à mort. C’est le même phénomène avec le yoga. Il fut un temps où cette récupération capitaliste m’énervait. D’ailleurs, je ne sais pas si on peut qualifier cela d’énervement, disons que j’étais tendu (rires). Et puis, j’ai réalisé que le yoga ne m’appartenait pas. Il était là avant moi et sera là bien après. Sa force est de justement pouvoir traverser le temps, même sous une forme la plus superficielle, la plus ridicule. Ce qui est certain est que le yoga d’aujourd’hui n’a jamais existé auparavant.
Le milieu du yoga d’aujourd’hui a rejoint la comédie humaine ?
Exactement, la commedia dell’arte ! Le yoga peut devenir un prêt-à-penser. Le mieux est de laisser vivre ! Franz-Olivier Giesbert écrit dans son livre « Dieu, ma mère et moi » que « les religions sont comme des bougies, elles éclairent le monde et doivent s’éteindre ». La meilleure façon de parler de yoga serait de ne pas utiliser le mot yoga pendant quelques années.
En cours, ta pédagogie est originale, tu poses une narration, tu mélanges des voix, quelles sont d’après toi les qualités d’un enseignant ?
Bienveillance, patience, humilité, écoute. Ce sont aussi les mêmes qualités pour l’élève. A la différence près que le professeur devrait selon moi « maîtriser » l’art de l’évocation. L’art de l’évocation consiste à apprendre en s’amusant. L’éléphant et l’écureuil de tout à l’heure en sont un parfait exemple. Il y a ceux qui commencent leur phrase « oui, mais depuis toujours … », mais moi je crois qu’on apprend bien plus en s’amusant. J’observe la nature : pourquoi le lionceau joue alors que son avenir sera fait de bataille et de domination pour assurer sa survie et celle des siens ? Quel est le but de s’amuser alors qu’ils vivent dans un milieu si dur et austère ? Le jeu est un moyen naturel pour apprendre et se former.
Les rishis, ces sages clairvoyants dont on dit qu’ils furent les premiers à enseigner le yoga, observaient les animaux pour reproduire leur posture.
Ils vivaient quasiment nus dans la forêt et observaient la nature, le ciel et les étoiles. Ils ont quitté le monde, le groupe, la vallée. Dans la forêt, ils ont élargit leur conscience pour revenir dans la vallée où le monde ingurgite la connaissance.
Tu reviens souvent à cette dimension sauvage ?
Oui car ce côté sauvage est expérience. A l’inverse de l’institution. J’habite Paris, à côté de la rue de Turenne, un des quartiers les plus « bobos » qui soient. Je croise souvent des mecs avec des tatouages. De retour chez eux, ils vivent entourés de posters. Il n’y a plus rien de sauvage. Tout cela a été digéré par la société de consommation.
Une citation ?
« C’est la dose qui fait le poison », Paracelse.
Une madeleine de Proust ?
Le souvenir de dévaler la montagne où nous étions au Portugal avec mes deux frères. Nous partions du village en haut, le but du jeu était de descendre à toute berzingue les chemins, les champs, la forêt. Le premier arrivé à l’Eglise avait gagné !
Avec la précieuse contribution de Céline Chadelat