La première fois que mon professeur m’a parlé de compassion dans mes cours de philosophie du yoga, je n’ai rien compris et je me suis senti dubitatif. Je me suis demandé si le professeur disait vraiment que je devais être compatissant et agir envers les autres par compassion ?
En vérité, la signification des mots varie selon nos angles de compréhensions, et sont également affectés par nos idées préconçues. Alors, que me suggérait-il ? que je devais “avoir pitié” d’autrui (et de moi-même), selon leurs (mes) circonstances douloureuses et causes de souffrances.
Cependant, l’attitude appropriée du professeur de yoga par rapport aux limitations physiques ou émotionnelles de ses élèves n’était pas de s’apitoyer sur eux, ni sur soi-même.
Quelque chose ne collait pas conceptuellement à ce sujet, jusqu’à ce que mon professeur et mes lectures me le fassent comprendre intellectuellement d’une manière vraiment compatissante, et ma pratique personnelle me le fasse ressentir et donc appréhender dans mon cœur.
Démystifier la compassion
Ayant assimilé le sens de ce ressenti, j’ai pu comprendre ma confusion, car lorsque je parle de compassion avec ma famille, mes amis et mes élèves, je rencontre des réactions identiques d’étonnement et de surprise.
Combien de fois n’avons-nous pas entendu quelqu’un demander de ne pas avoir pitié de lui ? ou dire à un autre que sa situation cause du chagrin ? ou conseiller que la pitié soit ressentie pour les nécessiteux ? ou sympathie pour celui qui souffre ? Dans ces situations, il est très courant de supposer que l’on est en présence de compassion, pour laquelle l’un ou l’autre dit fièrement “ne me plains pas”, mais en réalité rien n’en est plus éloigné.
Maintenant, si nous plongeons dans l’origine du sens du mot, nous pouvons observer, par exemple, que le Dictionnaire Larousse définit la compassion comme “Sentiment de pitié qui nous rend sensible aux malheurs d’autrui ; pitié, commisération”. Et c’est bien là l’origine de l’incompréhension du mot, du moins du point de vue yogique, puisqu’on part alors de l’idée selon laquelle la compassion est avant tout un sentiment, là où celui qui la perçoit est ému d’une situation dans lequel se retrouve un autre, qui serait celui de la douleur et de la souffrance, lui faisant éprouver du chagrin et de l’empathie.
La compassion au-delà de la pitié : l’action selon le Karuna
Évidemment, celui qui perçoit ce sentiment est déjà en position verticale par rapport à l’autre, sous l’idée que “je vais bien et tu vas mal”, ou “je vais mal, mais tu vas pire”. En ce sens, c’est une sensation qui est réellement produite par le moi, qui se juge bon et même sensible, et par rapport à ce fatal « je vais mieux que toi ». La pitié et ses notions semblables sont de véritables manifestations égocentriques à dépasser. Et quand il s’agit d’apitoiement sur soi-même, le complexe d’infériorité et le manque d’estime de soi se manifestent, tout comme la focalisation sur soi-même (le pauvre petit moi).
Mais ce n’est pas ce que les sages hindous et bouddhistes avaient à l’esprit et dans leur cœur lorsqu’ils ont inventé le terme sanskrit “Karuna”, qui a été traduit par “compassion”.
En ce sens, alors que dans les langues occidentales la compassion est définie comme un simple sentiment, en sanskrit « Karuna » vient de « kara » qui se traduit par « faire ». C’est-à-dire qu’on va beaucoup plus loin. Il ne reste pas dans le ressenti, mais va vers l’action, un acte qui dans le Karma Yoga est connu sous le nom d’action juste et due (avec une intention juste et due), le Dharma, où la personne agit selon ce qu’elle juge approprié et adéquat, et surtout sans attachement aux résultats. C’est son effet libérateur et sa source de bonheur.
De cette façon, le simple chagrin, la pitié et même la tristesse face à la douleur et à la souffrance d’autrui (ou propre) sont remplacés par des attitudes qui, générant de l’empathie, devraient motiver ou stimuler et générer une action avec l’intention de mettre fin ou réduire cette douleur et cette souffrance.
L’Amour désintéressé comme fondement de la compassion
En tout cas, si l’on veut s’appuyer sur le sentiment, c’est de l’amour désintéressé qu’il faut partir. Ainsi, après s’être ému, non pas par pitié, mais par solidarité ou par fraternité (même avec soi-même), il produit un acte bienveillant au profit de l’autre (ou de soi-même). Servir avec humilité.
Dans cet ordre d’idées, on voit donc que la vraie portée de la compassion est dans l’adoption d’une attitude de vie, qui se nourrit d’amour (sentiment) et se développe dans l’action de restaurer le bien-être, d’autrui ou de soi-même.
Dans cette perspective, si nous associons des principes du yoga, tels que la non-violence (Ahinsa) et la compassion (Karuna), et que nous nous situons dans mon cours de yoga, où je rencontre des étudiants âgés ou ayant des limitations physiques dérivées de la sédentarité habituelle, il est essentiel pour moi d’adapter les postures (Asana), de choisir des variantes appropriées et d’utiliser des supports (chaises, blocs, coussins, ceintures, murs, etc.), en accompagnant le tout d’instructions personnalisées et aimables ou douces, afin que la personne, au sein de son merveilleux processus individuel, découvre progressivement ses postures et les intègre, dans la compréhension intellectuelle et spirituelle qu’il n’existe pas de posture parfaite ou “enfin atteinte”.
Dans ce processus, il s’établit un dialogue entre l’élève et l’enseignant, qui motivera l’élève à s’auto découvrir, s’auto observer, en prenant en compte ses propres ressentis, perceptions, émotions, sentiments et pensées, avec l’intention de s’auto accepter progressivement dans tout ce qui peut se présenter, tant dans ses faiblesses que dans ses talents. On lui apprend à vivre ici et maintenant, dans l’instant présent, en étant bienveillant avec soi-même et en s’acceptant tel qu’il est, c’est-à-dire tel qu’il est à cet instant, en respectant son propre rythme, sans forcer, sans tensions inutiles.
Par conséquent, comme nous parlons de yoga, dans la pratique personnelle du yogi, comme dans le cas du professeur envers ses élèves, il faut agir avec compassion. C’est-à-dire qu’à partir de l’amour, nous observons nos diverses limitations et celles des élèves, qu’elles soient physiques ou émotionnelles, instabilité, déséquilibre, faiblesse, rigidité, inconscience de la proprioception, fausses attentes, etc.
Nous les acceptons, et en respectant de ne pas nous blesser ni blesser l’autre, sans juger, nous adoptons et exécutons l’action appropriée sur notre chemin de yogis.
Ainsi, les postures doivent être pratiquées dans une combinaison bienveillante d’effort juste (Sthira) et de confort ou d’aisance (Sukha).
Quelle meilleure façon de terminer le cours de yoga qu’avec un sourire révélateur, non seulement de gratitude envers soi-même et envers tout ce qui a joué un rôle dans la possibilité de sa réalisation, mais dans l’amour compassif.
Namasté.
Alberto Blanco-Uribe