Pour percer son sens originel, nous avons reçu l’appui de plusieurs spécialistes. De l’Ayurvéda au yoga, en passant par le bouddhisme, la philosophie du Vedanta et les textes antiques des Vedas, cet article s’est enrichi de perspectives concordantes. En effet, le Dharma touche à l’existence individuelle, il se réfère aussi à l’ordre cosmique et à ses lois. Alors, comment mettre davantage de sens dans sa vie ? Que conseillent ces enseignements millénaires ?
Mais d’abord, que veut dire le mot « Dharma » ?
Colette Poggi est Docteure en Etudes Indiennes. Elle a accepté de nous donner une définition du Dharma selon ses recherches.
« Ce terme sanskrit condense à lui seul un bouquet de significations qui sous-tendent la culture indienne hindoue, jaïne et bouddhiste. Il dérive de la racine DHRi dharati : porter, tenir ferme, soutenir, maintenir. Originellement attesté sous la forme dharman, il suggère ce qui est parfaitement agencé et forme la structure fondamentale du monde, à la fois stable, durable ».
Parmi les significations principales de dharma, on note « ordre, réalité universelle, loi du bon ordre des choses, droit, justice, doctrine religieuse, devoir, morale, vertu, qualité fondamentale, trait caractéristique, etc.
Quant à la locution sanâtana dharma « Loi éternelle », elle désigne la tradition hindoue et implique l’interrelation des divers phénomènes : « tout se tient dans l’univers ».
« Dharma exprime ainsi l’ordre des choses en tous les domaines (physique, moral, mental…), l’ordre socio-religieux, individuel et cosmique. Toutes ces dimensions étant en interdépendance, il apparaît essentiel que chaque élément du réel, chaque individu, joue son rôle, afin de préserver l’Harmonie cosmique, politique, etc. C’est ce que l’on appelle, dans la Bhagavad Gîtâ par exemple, accomplir son svadharma : son devoir ou vocation personnel(le). L’univers entier joue sa partition : « c’est le dharma de l’herbe de croître, et celui du soleil de briller ».
Le Dharma selon la philosophie du Vedanta ou de la non-dualité avec Dipamrita
Brahmacharini Dipamrita Chaitanya est représentante d’Amma en France et Présidente de la Fédération Védique de France.
Que préconisent les enseignements du Vedanta pour mettre du sens dans sa vie ?
De se poser la question de ce qu’on veut, de voir avec acuité les désirs qu’il porte en lui, de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour les rendre possibles, dans le cadre du dharma, de ce qui est juste, de les accomplir, et d’observer…C’est l’accomplissement même de ces désirs, avec discernement, qui permet de prendre conscience de cette réalité : la satisfaction qui accompagne l’accomplissement des désirs n’est jamais complète. La joie et la paix ne durent pas. En effet, chaque désir est finalement un désir d’absolu, une soif de plénitude, d’illimité, d’unité. Cette prise de conscience peut prendre…plusieurs vies…et résulter d’expériences douloureuses en tout genre… Quand elle se produira, la découverte spirituelle ultime, la réalisation du Soi, le ‘paradharma’ pourra s’accomplir…
Qu’est-ce que le Dharma selon l’approche du Vedanta ?
Le Vedanta présente cet univers comme un ensemble harmonieux à l’origine, avec des lois à la fois physiques et subtiles, qui permettent à cette harmonie de perdurer. C’est le ‘dharma de l’univers’, les lois éternelles qui régissent l’équilibre du cosmos. Pour permettre le maintien de cet équilibre harmonieux, il s’agit que chaque élément constitutif de l’univers reconnaisse et honore ses lois. Aussi chaque société, chaque groupe, chaque créature, chaque objet, dans la tradition védique, a un rôle, une place, une responsabilité, c’est à dire un dharma propre (svadharma) qui vient soutenir le dharma de l’univers et permet sa préservation.
Le Vedanta affirme, et c’est l’expérience de nombre de sages, que cet univers est la manifestation, sous des formes infinies, d’une unique énergie d’amour et de lumière, inconcevable, inatteignable par le mental. Chaque être humain est une manifestation particulière de cette pure énergie. Le but ultime de l’existence humaine, le dharma suprême, (paradharma) de chaque être humain est la découverte et la réalisation au plus profond de son être de sa véritable identité, le Soi : paix amour joie sans contraire. La joie que nous expérimentons ordinairement n’est qu’une infime fraction de cette béatitude de la réalisation du Soi. Mais le Vedanta prend aussi en compte que cette découverte n’est pas évidente !
Le Dharma selon l’Ayurveda
Julie Coueron, après avoir travaillé pendant plus de 10 ans dans des grandes agences de publicité décide de se tourner encore davantage vers le Yoga et l’Ayurveda. Elle effectue plusieurs retraites en Asie avant de se former au sein de l’école Ayurveda & Conscience.
Qu’est ce que le Dharma selon la médecine ayurvédique ?
Un Dharma épanoui implique d’écouter son intuition pour trouver sa place au sein d’une société et pouvoir ainsi contribuer à l’harmonie globale du monde. La sensation d’un manque de sens dans sa vie signifie pour l’Ayurveda que l’individu est en déséquilibre. Ce déséquilibre est lié à sa déconnexion avec son chemin de vie (Dharma) mais aussi deux autres piliers : Artha et Kama.
Artha traduit par « abondance » correspond aux moyens matériels, financiers et affectifs pour pouvoir réaliser notre chemin de vie. Kama ou plaisir correspond à l’énergie de vie qui nous permet d’expérimenter et d’agir. Sans un équilibre matériel (Artha), une capacité à jouir de la vie (Kama) et une écoute de son intuition pour réaliser son chemin de vie (Dharma), l’individu est dans l’incapacité d’accomplir les expériences qu’il est venu vivre pour son évolution personnelle et cela pourrait avoir des conséquences sur sa santé.
Que préconisent les enseignements de l’Ayurveda pour donner du sens à sa vie ?
Il faut se réaligner avec son chemin de vie, se remettre sur la bonne voie. Et pour cela, il faut se reconnecter à soi ! On recommande de s’occuper de son corps, de sa « maison », en s’énergétisant grâce aux massages ayurvédiques, aux balades dans la nature et une alimentation équilibrée ! On conseille des pratiques spirituelles comme la méditation et le yoga où l’on va déconnecter le mental pour mieux écouter le coeur.
Le Dharma selon le bouddhisme tibétain
Véronique Giard, nommée Tséwang Lhamo par son Maître tibétain, le 17ème Karmapa, Trinlé Thayé Dorje, a été nonne bouddhiste. Elle a passé 5 ans et demi en retraite au monastère de Kundreul Ling, dont 3 ans en retraite de méditation.
Que préconisent le bouddhisme et la médecine tibétaine pour trouver le sens de sa vie ?
Le bonheur ne découle pas de nos projets et réalisations mais des empreintes positives laissées dans notre esprit. Faire les choses juste pour soi n’est pas satisfaisant. L’esprit est fermé. Si l’on veut vraiment donner du sens à sa vie, il faut donner du temps et de l’énergie pour les autres. Au-delà des actes positifs, nous semons également de bonnes graines dans notre esprit.
Pour améliorer notre vie, nos conditions, notre santé, il faut d’abord prendre soin de notre esprit en apaisant notre mental et nos émotions ; puis renforcer notre potentiel positif en développant la bienveillance, la compassion, l’altruisme. Accroître le potentiel positif permet de neutraliser les négativités de sorte qu’elles ne mûrissent plus sous forme de souffrance (obstacles, maladies, émotions…)
Qu’est-ce que le Dharma selon le bouddhisme et la médecine tibétaine ?
Le Dharma est la voie enseignée par le Bouddha. Il se manifeste sous deux formes : les enseignements consignés par écrit et la réalisation de grands maîtres grâce à leur pratique. Le Bouddha à travers son enseignement nous indique le chemin de la libération de toute forme de souffrance. Il nous indique comment éviter la souffrance et obtenir le bonheur.
La médecine tibétaine s’appuie sur les mêmes préceptes. Il y a un lien entre le spirituel et le physique. Pour maintenir ou rétablir l’équilibre énergétique, il est important de savoir d’où vient la maladie. La médecine traditionnelle tibétaine est une thérapie holistique, un pont entre la conscience et le corps.
L’approche du Dharma selon les Vedas
Pierre Bonnasse enseigne le yoga et la philosophie au sein de l’école Rishi Yoga Shala. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages traduits et publiés en Inde et aux Etats-Unis. Il est également directeur de collection aux Éditions Les Deux Océans et consultant pour le domaine indien dans le Groupe Trédaniel. Il vit à Rishikesh, au pied de l’Himalaya.
Que préconisent les enseignements védiques pour donner du sens à cette nouvelle année ?
En ce début d’année par exemple, plutôt que de me demander « quels vœux je souhaite réaliser », ou « comment je peux les réaliser », le dharma m’invite à me demander, avec la plus grande détermination et le plus grand discernement, « qui souhaite réaliser un vœu ? » En nous interrogeant ainsi sincèrement, avec l’attention simultanément tournée sur le monde et sur Cela qui le regarde, sur le ressenti de l’activité et le silence intérieur dans lequel il apparaît, il est certain que l’année à venir sera nécessairement « bonne ».
Qu’est-ce que le Dharma selon les Vedas ?
« Prends refuge en Lui de tout ton être, Ô Bhārata. Par sa grâce seule, tu atteindras la Paix suprême et la Demeure éternelle. » Bhagavad-Gītā XVIII.62
Le dharma, mot formé à partir de la racine √ dhṛ, est littéralement « ce qui soutient » : ce qui porte et qui maintient à la fois l’ensemble de l’existence et de ses différents plans, inextricablement liés les uns aux autres. Il y a ainsi un dharma social, professionnel, familial, politique, moral, religieux, individuel, etc. Le dharma est ce qui, en toute chose, est conforme à l’ordre universel, à la loi cosmique ou divine.
Selon les Upanishads, le dharma éternel est à la fois le support de l’univers tout entier et, par l’étude des Écritures, le moyen de connaître le Soi, de parvenir au bonheur suprême, et d’atteindre la Libération du monde phénoménal.
Suivre le dharma, c’est donc vivre et agir en harmonie avec la Loi qui régit tout l’univers, afin de reconnaître pleinement ce substrat universel qui n’est pas différent de ce que nous sommes vraiment. Cela demande d’abord de comprendre que le bonheur permanent ne peut pas se trouver dans ce qui change tout le temps.
Le Dharma selon les enseignements du yoga
Maitri est la fondatrice de Yoga&Vedas (école de formations, maison d’éditions et plateforme multimédia) qui partage sa vie entre la France et l’Inde en enseignant le yoga traditionnel dans ses plusieurs aspects (philosophie, meditation, pratique posturale, respiratoire et mantrique).
Que conseillent les enseignements yogiques pour donner du sens à sa vie et réaliser son dharma ?
Tout d’abord, il faut saisir la possibilité, en tant qu’être humain, d’élever sa conscience. Les hommes peuvent faire des choix basés sur le discernement contrairement aux animaux qui eux agissent principalement avec leur instinct. Cela est la première préconisation.
Puis, il faut se protéger des scenarios imposés par la société. C’est ce qui nous éloigne aujourd’hui le plus de notre svadharma. Qu’il s’agisse des médias, des impositions par la société, ce qui nous est raconté par les autres… Il faut s’en protéger. Une fois que l’on s’est émancipé de toutes ces influences, on peut développer l’intuition, l’entente intérieure de ce qui est juste pour moi et ma vie. Et ainsi on rencontre son dharma.
Qu’est-ce que le Dharma selon les enseignements du yoga ?
La première chose à souligner est le fait que ce terme appartient à la culture védique. Même si le sens est devenu universel, c’est une appellation essentiellement védique, plus ancienne que toutes les autres écoles et traditions spirituelles. Au niveau étymologique, la racine Dhr, veut dire soutenir. On peut faire le lien avec Muladhara (le premier chakra) qui signifie littéralement : Mula, la racine ; Dhara, ce qui soutient.
La première piste de compréhension se réfère aux enseignements védiques. En effet, on ne parle pas d’hindouisme – dans les cercles scientifiques – mais de Sanatana Dharma. Plus exactement, le terme « hindouisme » se rapporte à toutes les traditions observées par les ariens durant l’invasion de part et d’autre du fleuve Hind. Ainsi, pour désigner la culture et la spiritualité qui puisent leurs racines dans les Vedas, on va parler de Sanatana Dharma. Sanatana signifie éternel et Dharma, dans son premier sens est « l’ordre juste ». Cela se rapporte à l’ensemble des règles universelles comme la cyclicité, le concept du temps, tout ce qui est lié à l’existence. C’est ainsi qu’on peut traduire Sanatana Dharma par « ordre universel », ou comment les choses doivent s’opérer sur notre planète et dans l’univers.
En second lieu, on peut distinguer le dharma dans le sens global et le comprendre comme une « vocation universelle ». Le dharma est l’essence sans laquelle le phénomène ou l’objet ne peut être ce qu’il est. Par exemple, le dharma du miel est d’être sucré. En outre, les textes et les maitres spirituels disent que le dharma de l’être humain s’appui sur sa distinction d’avec l’animal car l’humain peut élever sa propre conscience. C’est le discernement de l’être humain qui lui permet d’aller vers l’écoute intérieure et de saisir ce qui est juste pour accomplir le dharma final : la sortie de l’illusion. Le yoga guide l’être humain vers l’élévation de sa conscience à travers l’union de l’âme individuelle et de l’âme universelle, comme la vague s’unie à l’océan.
Enfin, en dernier lieu, il y a le Svadharma, qui est le dharma personnel. Cela fait souvent référence à la vocation individuelle qui s’accomplie notamment dans le milieu professionnel. Mais pas seulement puisqu’il y d’autres svadharma, tel que le rôle social ou familial : être un mari, un élève, un enseignant, une mère etc… C’est le svadharma qui suscite généralement le plus de questionnements de la part des pratiquants de yoga.
Le Dharma selon le bouddhisme zen
Taiun Jean-Pierre Faure, l’abbé de Kanshoji, reçoit en 1981 l’ordination de moine de maître Taisen Deshimaru et devient son disciple. Vingt ans après la mort de maître Taisen Deshimaru, il reçoit la transmission du Dharma de maître Dônin Minamisawa dont il devient le disciple et par la suite enseignant certifié de l’école zen Sôtô.
Qu’est-ce que le Dharma selon le bouddhisme zen ?
Dharma signifie La Loi de l’univers : tous les phénomènes de l’univers sont de nature impermanente. Par ailleurs aucun de ces phénomènes n’a d’existence propre, séparée, autonome ; en effet tous les phénomènes sont causes et conditions de « l’existence » de chacun d’entre eux. Reconnaitre ces aspects de la Loi, les accepter profondément et les suivre avec une totale confiance, c’est être éveillé. Le Bouddha Shakyamuni s’est éveillé il y a 2600 ans à cette réalité et n’a cessé de l’enseigner tout au long de sa vie afin de montrer un chemin qui mène à la libération.
Le mot Dharma, dans son acceptation courante est donc, aussi, l’enseignement du Bouddha Shakyamuni. En fait le mot Dharma a plusieurs significations, mais les deux plus importantes sont la Réalité absolue et l’Enseignement pour y accéder.
Que préconisent les enseignements du bouddhisme zen pour mettre du sens à sa vie ?
Le bouddhisme Zen préconise de mener une vie en état d’éveillé, une vie qui s’appuie sur la vérité plutôt que sur l’illusion. Lorsque nous sommes libérés de tous nos conditionnements, de nos peurs, de l’avidité, de la colère qui sont à l’origine de toutes les souffrances, apparait un esprit profondément en paix, qui voit la réalité telle qu’elle est…De là, se lèvent la sagesse et la compassion.
Bouddha Shakyamuni propose donc, comme pratique-racine, d’accéder à un esprit ouvert, lavé de toute illusion avec lequel nous pouvons voir ce que nous sommes, voir ce qu’est l’univers, voir comment ça marche et se conformer ainsi à la réalité telle qu’elle est et non pas à la réalité comme on l’imagine ou comme on se la représente. C’est à partir de la vue juste que nous voyons qu’au fond de nous nous sommes Bouddha et que notre vocation est de vivre comme un Bouddha. Ayant pris conscience de cette réalité vous faisons (ou pas) le vœu de nous y conformer. Nous retournons dans le monde avec le vœu de vivre comme un bouddha et pour cela de suivre son enseignement. Suivre son enseignement c’est prendre la décision d’empêcher le mal d’apparaître, de tout faire pour que le bien apparaisse et de faire tout cela au service de toutes les existences. Comme nous ne sommes pas assis du matin au soir en zazen et que nous avons à faire face à de multiples situations dans nos vies, cela nous demande de garder à l’esprit les préceptes majeurs qui nous aident à respecter nos vœux.
En effet la vie nous met à chaque instant devant le même choix : nous laisser aller à l’égoïsme ou nous mettre au service de la vie, de la vie de toutes les existences. Les préceptes majeurs qui devraient éclairer nos choix sont : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, etc.
Si on suit les lois de l’univers, en pratiquant le bien et en empêchant le mal d’apparaitre, alors il n’y a plus de dualité entre soi et le reste du monde. Étant totalement présent au monde dans chaque situation qui nous échoit, agissant de tout son cœur, faisant les choses comme elles doivent être faites, sans rien attendre de spécial pour soi, la question même du sens de la vie ne se pose plus, nous faisons ce que nous avons à faire. Dans la réalité absolue n’existe que l’instant présent, vivre cet instant totalement, sans peur, répond à toutes nos interrogations.
La vraie question n’est pas pourquoi on vit, mais plutôt comment on vit.
Avec la précieuse contribution de Sahra Leclerc