Chaque année, comme une ritournelle de fin d’année, le réveillon s’accompagne des traditionnelles «nouvelles résolutions». Mais comment se défaire de nos habitudes ? La philosophie du yoga nous apprend qu’elles sont une partie de nous et que pour s’en libérer, nous devons d’abord prendre soin de les comprendre en profondeur.
La roue du samsara
Être pris dans des cycles de souffrances répétés s’appelle «samsara» en sanskrit, la langue sacrée de l’Inde. Il est conçu comme une roue qui tourne, inlassablement. Le but des techniques différentes du yoga (postures, travail avec la respiration, méditation, entre autres) a été pendant longtemps de se libérer de cette roue de la souffrance. Peut-être avez-vous déjà identifié certains comportements, certaines habitudes qui vous font souffrir? Dans le domaine de l’alimentation, le grignotage par ennui, la surconsommation alimentaire ou l’étouffement des émotions par une boulimie inconsciente sont à la fois des indicateurs d’une souffrance déjà existante et générateurs de nouvelles souffrances. Vous avez peut-être déjà essayé de changer ce genre de comportement en stoppant l’action. «Pas de sucre pendant un mois», ou «2 biscuits max par jour». Or, cela s’avère très difficile et on se fait vite rattraper par la force des habitudes.
Les impressions du samskara
Pour comprendre cette difficulté, une autre notion issue de la philosophie du yoga peut être utile: le samskara. Écrit avec un ‘k’, il s’agit d’une impression latente dans l’espace mentale. Elle précède donc l’action, qui se concrétise dans un deuxième temps à l’extérieur du corps.
Si je me trouve en train de me lever pour aller au réfrigérateur et chercher quelque chose à manger, forcément il y a eu une pensée qui a précédé l’acte physique de me lever. Cette pensée est, le plus souvent, inconsciente ou tellement rapide que l’on ne l’aperçoit même pas. Patanjali, l’auteur d’un texte majeur, les Yoga Sutras (3ème-4ème siècle de notre ère), dit en sanskrit: «Samskara saksat karanat purvajati jnanam» (3.18), que nous traduirons par: «Grâce à l’observation directe des impressions latentes, il en résulte la connaissance du passé et de notre conditionnement.» Patanjali parle ici de notre conditionnement, créé par la répétition d’une chaîne, dont les maillons individuels peuvent être des pensées, des émotions, ou des actions. Nous pourrions évoquer l’image d’un iceberg: nos actions, nos comportements, sont souvent conditionnés par la partie submergée de l’iceberg, par ces samskaras.
Des automatismes ancrés
Dans la partie visible de nos manières d’agir, un ensemble de facteurs ont été consolidés: les multiples messages reçus et répétés par notre famille, nos enseignants et la culture qui nous entourent; les émotions que nous avons ressenties dans des situations diverses; sans oublier nos pensées répétitives, qui sont souvent si éphémères et enfouies que nous n’arrivons plus à les capter, ni à comprendre l’impact qu’elles ont sur nos choix. Prenons un exemple concret: le grignotage. C’est une habitude qui se construit au fil de la vie et peut devenir tellement automatique que l’on se surprend en train de consommer quelque aliment, alors que nous ne souvenons pas d’avoir eu faim. Les personnes qui veulent arrêter le grignotage se concentrent en général sur l’action visible. Or, c’est souvent extrêmement frustrant car l’habitude ne s’arrête pas «comme ça» et on se retrouve dans une situation de lutte avec soi-même.
Démanteler les structures mentales
Les yogis comme Patanjali nous diraient que, tant que nous ne remontons pas la chaîne des samskaras, nous resterons prisonniers de nos habitudes. C’est sur les samskaras et non sur l’action que l’on doit porter son attention, car c’est là où nous pouvons commencer à démanteler les structures mentales qui nous vouent à la répétition d’une action irréfléchie.
Démêler les pensées des actions nous aide à mieux comprendre que le changement d’habitude passe par une modification de la pensée, et non juste une modification de l’action qui nous fait souffrir. Une bonne nouvelle est que les samskaras ne sont pas uniquement négatifs: toutes nos bonnes habitudes reposent aussi sur un conditionnement, mais qui nous sert et servent notre force vitale. Un samskara peut donc être positif, négatif ou neutre dans son impact sur notre vie.
21 jours pour une nouvelle habitude
Une autre bonne nouvelle est que vous êtes entièrement libre de choisir ce que vous avez envie d’examiner, ce qui vous ne sert plus, et d’aller à votre rythme pour remplacer d’anciens habitudes par des nouvelles. Il ne suffit pas d’arrêter de faire une chose, il conviendrait aussi de commencer à faire autre chose, afin de construire un nouveau samksara qui vous sert. Les scientifiques disent qu’il faut autour de 21 jours de changement conscient pour modifier durablement une habitude. Vous n’êtes pas obligés de faire tout en une seule fois. Pourquoi pas commencer par un jour, puis deux jours à un autre moment, puis trois, et éventuellement une semaine. La répétition joue un grand rôle: dites-vous que cette nouvelle habitude est une pratique.
Changer une habitude, étape par étape
- Prenez le temps d’observer l’habitude SANS VOULOIR LE CHANGER dans un premier temps. Comme un scientifique, notez les circonstances, conditions, pensées, résultats de votre habitude.
- Prenez le temps de réfléchir à tout ce qui aurait pu nourrir cette habitude dans votre passé: souvenez-vous de la première fois, quelles ont été les pensées et/ou circonstances qui ont entretenu l’action? D’autres personnes ont-ils joué un rôle?
- Pensez à une nouvelle action qui pourrait remplacer l’ancienne: au lieu d’utiliser l’énergie de la résistance («Il ne faut pas que je…»), trouvez une impulsion positive: «Aujourd’hui, je vais essayer de…». Ce sont les bases de votre nouveau samskara.
- Fixez des objectifs raisonnables: si vous avez mangé beaucoup de sucre toute votre vie, est-ce raisonnable de penser que vous allez l’éliminer à 100% pour un mois? Essayez pendant un jour, voire une heure. Vous aurez plus vite une expérience de réussite qui va renforcer votre engagement.
- Préparez le jour «j»: rassembler de l’information ou des supports matériels (acheter par exemple des fruits secs au lieu de bonbons pour les avoir à la portée de main).
- Vivez votre période test avec l’attention portée sur comment cela se passe dans votre tête lorsque l’envie de retomber dans l’ancienne habitude se présente.
- Prenez un temps de faire le point à la fin de chaque période d’essai. Notez ce qui vous a aidé à respecter votre engagement, quelles pensées vous ont soutenue? Si vous avez cédé à la tentation de refaire l’action indésirable, pourquoi? Évitez de vous juger sévèrement – cela ne vous aidera pas à comprendre. Ayez de la patience et de la bienveillance pour la partie de vous qui trouve ce changement difficile.
- Prenez une décision consciente de continuer sur ce nouveau chemin ou pas. Est-ce que cela suffit pour l’instant, ou voudriez-vous renouveler l’expérience?
Avec la précieuse contribution de Pamela Weber